Le ratio decidendi
Définition & Exemple
I) Définition
Le ratio decidendi (rationes decidendi au pluriel), en français « raison de la décision » se définit comme une partie précise d’une décision qui va acter le début d’une jurisprudence qui liera (biding effect) les tribunaux (courts) inférieurs dans leurs décisions futures. Il est complémentaire à la notion d’obiter dicta (soit dit-en passant), qui désigne plutôt les arguments.
Cette notion se retrouve dans les systèmes de common law, au sein desquels la loi est issue en grande partie des arrêts précédent rendus par les tribunaux. Toutefois, l’entièreté de la décision n’a pas vocation à « faire jurisprudence » et à lier les décisions à venir : c’est pourquoi il est alors nécessaire d’identifier le ratio decidendi, qui peut être une phrase ou une règle, qui constituera alors le cœur de la décision et liera les juges dans leurs disions futures. Ainsi, seul le ratio decidendi lie les juges : en ce sens, il est comparable à la notion de « portée » d’un arrêt.
Comment différencier un obiter dicta d’un ratio decidendi ?
Le test de Wambaugh est une méthode permettant de distinguer assez efficacement un ratio decidendi d’un obiter dicta. Afin de savoir à quelle catégorie appartient une déclaration précise du juge, il suffit de se demander si sans cette même déclaration, la décision finale aurait été différente ou non.
- Si oui, c’est qu’elle cruciale et qu’il s’agit donc d’un ratio decidendi ;
- Si non, c’est qu’elle d’une importance moindre et qu’il s’agit donc d’un obiter dicta.
Étant probablement l’une des notions les plus fondamentales des pays de common law, les essais doctrinaux sur le sujet sont pléthoriques. Dans son livre Precedent in Engish Law (1968), Rupert Cross définit le ratio decidendi comme « toute règle de droit traitée expressément ou implicitement par le juge comme une étape nécessaire pour parvenir à sa conclusion » (“any rule of law expressly of impliedly treated by the judge as a necessary step in reaching his conclusion”).
L’identification du ratio decidendi au sein d’une décision est fondamentale pour au moins deux raisons :
- Le ratio decidendi est littéralement la pierre angulaire des systèmes de common law, qui construisent leur ensemble de règles sur les jurisprudences antérieures. Ainsi, identifier le cœur de la décision, c’est-à-dire la règle précise de l’arrêt qui va lier, elle et seulement elle, les décisions ultérieures, est vital ;
- Du point de vue des parties, il y a un travail d’identification des ratio decidendi antérieurs à fournir afin d’affirmer si une jurisprudence précédente peut être utilisée afin de régler le litige en cours ou non. Ainsi, l’avocat d’une partie peut pousser un tribunal à ne pas appliquer un ratio decidendi qui lui serait défavorable s’il arrive à prouver que son application serait impertinente au vu des faits d’espèces.
Sa particulière complexité d’identification en fait donc un exercice difficile auquel tout avocat doit s’essayer afin de faire basculer le litige en sa faveur.
II) Exemple
Le ratio decidendi se retrouve dans toutes les affaires ayant fait jurisprudence, toutefois certaines servent aujourd’hui d’illustration dans les cours de law school anglo-saxonnes.
La décision Donoghue v. Stevenson de 1932, aussi appelée Paisley Snail’s case, est sans doute la plus célèbre. En l’espèce, un ami de May Donoghue lui commanda une bière de gingembre dans un bar de Glasgow ; malheureusement pour elle, l’opacité du verre l’empêcha de remarquer les restes décomposés d’un escargot dans son verre, dont elle avait déjà bu le contenu. Après avoir contracté une gastroentérite, elle attaqua Stevenson, le fabriquant. Toutefois, elle ne pouvait l’attaquer sur le plan de la faute contractuelle (breach of contract) car ce n’est pas elle qui avait acheté la boisson, et c’est pourquoi sa première action fut rejetée. Elle fit alors appel devant la Chambre des Lords, et Lord Atkin, juge de l’affaire, posa une règle nouvelle, celle du devoir de prévoyance (duty of care) : selon cette règle, certains rapports entre individus doivent entrainer un devoir de prévoyance. Ainsi, le fabricant à une responsabilité envers les individus quand bien même ils n’auraient pas contracté directement avec lui via l’achat de l’un de ses produits.
Cet arrêt donna ainsi naissance au neighbour principle, selon lequel il faut prendre des précautions afin d’éviter qu’un acte ou une omission puisse nuire à un « voisin », c’est-à-dire une personne affectée par l’acte tout en étant que très étroitement liée à l’auteur de l’acte en question.
En l’occurrence, le ratio decidendi est la règle nouvelle prononcée par le juge, qui est ici le neighbour principle. Tout le reste de l’affaire, qu’il s’agisse des arguments du juge mais aussi des parties, ou encore des simples considérations de droit, ne constituent pas le ratio decidendi. Seul le neighbour principle l’est, ainsi il lie les cours inférieures dans leurs décisions depuis 1932.